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10 février 2013

À Yahannochia, ville perdue sur une planète isolée de la galaxie, les habitants vivent d’une tradition unique et millénaire : des tisseurs créent des tapis de cheveux destinés à orner le palais de l’Empereur. Pour faire un tapis, le tisseur passe sa vie courbé sur son chevalet et assemble les cheveux de ses femmes et de ses filles. Une fois son tapis achevé, il le donne à son fils qui le vend et commence alors à tisser son propre tapis. « Chaque génération a une dette envers la génération précédente et s’en acquitte auprès de ses propres enfants. » (p. 20)


D’année en année, de siècle en siècle, la caste des tisseurs se dévoue corps et âme à sa mission presque religieuse. « Ce que vous êtes ne vous appartient pas, vous appartenez à l’Empereur, notre maître, et la seule façon pour vous de vivre, c’est d’accepter de vivre à travers lui ! » (p. 41) Il semble que la planète des tisseurs de tapis de cheveux ait été oubliée pendant bien trop longtemps, voire qu’elle ait été forcée à régresser pour mieux se soumettre. « Produire des tapis en cheveux, telle était la sainte mission que l’Empereur avait confiée à ce monde ; mais pour d’obscures raisons, la puissance qui avait soutenu cette mission s’éteinte. » (p. 130) Mais voilà une rumeur enfle et envahit la galaxie : on dit qu’une rébellion aurait éclaté et aurait renversé l’Empereur, pourtant immortel et omnipotent. Si l’Empereur a disparu, que deviennent les tapis de cheveux ?
Hum… attention, lecture hautement intéressante ! Si on ne s’attache à aucun personnage, le récit progresse plutôt bien sur de très nombreuses années, voire des décennies. L’enchaînement des points de vue est fluide et présente différentes fonctions essentielles au maintien du système impérial nécessaire à la production et à la transaction des tapis en cheveux. Les personnes que l’on croise d’un chapitre à l’autre finissent par former une véritable chaîne logique. Tout le texte est sous-tendu par une grande violence, mais sa représentation est toujours avortée ou seulement suggérée. J’ai été très impatiente de connaître le mystère qui entoure les tapis de cheveux : si j’ai failli être déçue par la conclusion et l’explication, j’ai finalement été bluffée par la puissance absurde de ce roman. Andreas Eschbach sublime les liens de causalité en soulignant combien une cause ridicule peut avoir des conséquences gigantesques.

9,50
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9 février 2013

Roland de Gilead, Eddie et Susannah errent dans l’Entre-Deux-Mondes. Roland forme ses compagnons à devenir des pistoleros : ce n’est qu’ainsi qu’ils pourront se défendre et survivre dans ce monde étrange et hostile. « Un pistolero n’était-il pas un faucon humain entraîné à mordre sur commande ? » (p. 21) Mais dans deux mondes différents, Roland et Jake souffrent du même mal. Jake, c’est le garçon que le pistolero a dû sacrifier à la fin du premier tome pour rejoindre l’homme en noir. Mais Roland a ensuite sauvé le garçon en tuant son assassin. Le pistolero et le garçon sont donc torturés par des souvenirs d’évènements qui ont eu lieu et d’évènements qui n’ont pas eu lieu. Pour réconcilier ces deux réalités paradoxales qui déchirent leurs esprits, Jake doit rejoindre Roland dans son monde. Et ce ne sera possible que si Eddie parvient à surmonter ses propres souvenirs, à oublier son frère et à créer la clé qui ouvrira une porte entre les mondes.

On apprend que la Tour sombre est au centre de portails et que des Rayons les relient. En suivant le sentier du Rayon, Roland et ses compagnons savent devoir trouver enfin l’objet de leur quête. « Nous sommes un ka-tet […]. En d’autres termes, un groupe d’individus liés par le destin. […] Chaque membre d’un ka-tet est semblable à une pièce de puzzle. Prise isolément, chacune est un mystère, mais une fois assemblées, toutes forment une image… ou une partie d’image. » (p. 349)

La route est encore longue et les Terres perdues sont immenses. Quand Lud, étrange cité de verre et de béton, se profile à l’horizon, un sourd pressentiment dit à la troupe de passer outre. Mais le destin de ce ka-tet est justement de traverser la ville et d’affronter ses épreuves. Chaque membre du groupe aura son rôle et sa force, même Ote le bafouilleux, petit animal qui s’est profondément attaché à Jake. Et dans l’accomplissement de ce destin extraordinaire, un livre d’enfant et un livre de devinettes peuvent faire toute la différence.
La Tour sombre, si menaçante dans son absence, n’est pas le danger premier. Pour l’instant, Roland et ses compagnons pistoleros doivent survivre aux Terres perdues. « Il faut que nous soyons protégés. Parce que les Terres perdues sont poison. » (p. 386) La suite au prochain volume !

Je suis toujours aussi enthousiaste et j’ai hâte de savoir ce qu’il va advenir des ces chevaliers d’un autre monde !

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2 février 2013

C’est beau, tout simplement beau !

Roman graphique des frères Fabio Moon et Gabriel Ba.

Bras de Oliva Domingos écrit pour la rubrique nécrologique d’un grand quotidien de Sao Paulo. Alors qu’il écrit les morts des autres, il ne parvient pas à écrire sa propre histoire, à devenir l’écrivain qui sommeille en lui. Son plus grand handicap, croit-il, est la figure écrasante de son père. Malédiction ou héritage ? C’est que la suite de l’histoire dira.


L’histoire, parlons-en. De sa structure surtout. Il y a dix chapitres qui présentent Bras à différents âges et sans chronologie. Si on connaît la fin de l’histoire dès le premier chapitre, c’est en lisant les autres, à rebrousse temps et à contre temps, que l’on embrasse toute la vie et toute la mort de Bras de Oliva Domingos. Si on peut avoir une infinité de vies, pourquoi n’aurait-on pas aussi une infinité de morts et autant de chances de tout recommencer ? Parce que là où une vie s’arrête, il y a une chance qu’une mort en devenir commence. « Et la mort, ça vous donne une autre perspective sur la vie et tout le reste… Tout le reste semble sans importance. » (p. 91) Chaque chapitre s’achève sur des nécrologies, mais ce qui est époustouflant, c’est qu’elles ne marquent pas seulement la fin (de la vie ou du chapitre) : elles aident ceux qui restent à continuer.

D’un chapitre à l’autre, les auteurs proposent des réflexions fines et bouleversantes sur la famille, entité qui ne se conçoit qu’avec des bonheurs et des malheurs. Bras doit faire sa place face à son père et à sa mère, puis face à sa femme et son fils. Une famille, c’est à la fois la vie et la mort, c’est un long récit. « La vie est comme un livre, fils. Et tous les livres ont une fin. Peu importe combien tu aimes ce livre, tu arriveras à la dernière page et ce sera fini. Aucun livre n’est complet sans une fin. » (p. 214) Et puis, il y a ce rêve qui tient tout le neuvième chapitre : entre synopsis et conclusion, ce chapitre particulier nous donne les clés et d’autres portes pour comprendre la vie de Bras.

Bras de Oliva Domingos est donc un fils, un époux, un père et un homme. Et il concentre toutes ses facettes dans son être d’écrivain : fondamentalement, viscéralement, l’essence de Bras est nourrie d’écriture. À mesure qu’il trace sa voie, qu’il trouve sa voix, tous les destins qui sont les siens se rejoignent. Et c’est tout l’art de Fabio Moon et Gabriel Ba que de tisser cette histoire mine de rien et de poser des jalons qui finiront par former un chemin.

Que dire du dessin, si ce n’est WAHOO ! Les couleurs sont puissantes, profondes, vibrantes et incroyablement dynamiques. C’est beau, tout simplement beau !

La tour sombre

J'ai Lu

8,90
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2 février 2013

À la fin du tome précédent, nous avons laissé le pistolero sur la grève de la Mer Occidentale. Épuisé, il s’est endormi sans savoir que les eaux allaient lâcher sur lui des monstres plein de questions. Blessé, amputé et empoisonné, Roland le pistolero envisage son avenir sans espoir. Mais qu’en est-il des trois cartes que l’homme en noir a tirées de son funeste tarot ? Il a prédit trois rencontres à Roland : le Prisonnier, la Dame d’ombres et la Mort. À chacune de ces cartes correspond une porte vers un autre monde.


La première porte s’ouvre sur Eddie, un junkie en fâcheuse position. Roland l’entraîne sur la grève de la Mer Occidentale. « Bon, maintenant, j’emmène cette porte partout avec moi […] et Eddie aussi. Elle nous accompagne comme une malédiction dont on ne pourrait se débarrasser. » (p. 120) Roland poursuit sa route vers la deuxième porte et celle-ci s’ouvre sur Odetta Holmes et Detta Walker, deux femmes qui n’en sont qu’une. Elles aussi entrent dans le monde du pistolero. Et l’étrange équipée avance vers la dernière porte, celle qui dont dépend la vie de Roland. Quand elle s’ouvre sur Jack Mort, la mort de Jake et les accidents d’Odetta Holmes prennent tout leur sens. Mais ces trois portes ne sont nullement le bout de la quête du pistolero : la Tour sombre est encore loin et rien ne saurait empêcher Roland de la rejoindre.
Roland le pistolero est un chevalier d’un âge nouveau : il répond à un code d’honneur ancestral et exigeant. « Je me suis damné pour mon devoir. » (p. 126) S’il ne peut oublier sa responsabilité dans la mort de Jake, il est prêt à tout pour atteindre enfin la Tour sombre, sinistre fanal dans un monde dont le sens échappe sans cesse. « Il s’agit peut-être d’une sorte de cheville. Un pivot central maintenant ensemble tous les plans de l’existence. Tous les temps, toutes les dimensions. » (p. 190)
Le deuxième tome du cycle de La Tour sombre esquisse plus de questions que de réponses et le lecteur ne peut que repartir en quête aux côtés de Roland. Si le récit est ouvertement fantastique avec ses passages entre les mondes, il résonne également des accents d’un engagement que l’on suppose être celui de l’auteur. En filigranne, guerre du Vietnam et ségrégation sont pointées du doigt : à l’aune de l’honneur que l’auteur prête à Roland, la valeur d’une vie innocente ne saurait se soumettre aux idéaux viciés d’un monde, aussi immense soit-il. Il me tarde de lire la suite des aventures de Roland et d’Eddie.

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31 janvier 2013

Virgil Alexander Stilton s’est rendu à la police en s’accusant de la mort de soixante personnes. Les autorités ont rapidement conclu que Stilton n’était pour rien dans toutes ces disparitions et elles l’ont confié à la clinique de Springdale. « Si j’ai tué ces soixante personnes, il faut bien que j’aie un problème dans la tête. Si je ne les ai pas tuées, il faut aussi que j’aie un problème dans la tête, puisque je pense les avoir tuées… C’est logique, non ? » (p. 21) Un dingue qui raisonne juste, c’est déjà quelque chose. Mais ce n’est pas la seule particularité de Stilton : cet homme aux goûts vestimentaires bariolés a la fâcheuse tendance de tout oublier. « Les choses rentrent et sortent de ma tête avec une facilité inimaginable. Je ne retiens rien. » (p. 43) Et c’est bien pour cela que Virgil Stilton se sent désespérément vide.


La clinique compte d’autres malades. Il y a Tibbets, unijambiste obsédé par l’idée de faire repousser sa jambe. Il y a Tim, quasi muet et très attaché à son petit lapin noir, Rommel. Il y a Kemp, persuadé d’être un astronaute. Il y a Rosen, fasciné par le feu. Et il y a les médecins. Le Dr Coleman a bien du mal à inventer des histoires pour son fils. En désespoir de cause, il lui offre une pierre parfaitement ronde. Ce qu’il n’avait pas imaginé, c’est que son fils appellerait le caillou Elmer et prétendrait pouvoir entendre ses histoires. De son côté, le Dr Miller commence à faire des rêves très étranges, peuplés de petits lapins noirs et d’animaux qui parlent. Et le Dr Fenech est bien en peine d’expliquer comment elle peut et venir dans un monde qui n’a rien à voir avec la clinique.

Lentement, les membres de la clinique de Springdale commencent à changer et à agir bizarrement. Et tout a commencé avec l’arrivée de Virgil Alexander Stilton. Stilton, oui, comme le fromage.

Que voilà une étrange lecture ! Ce qui semblait tout d’abord être un roman loufoque peuplé de doux dingues devient peu à peu un texte très sombre et inquiétant. Ne parlons pas de folie ou d’hallucinations, ce serait trop réducteur. Nicolas Kiefer crée une infinité de mondes qui se rejoignent et implosent à la toute fin de son texte. Ni fantastique, ni médical, son roman est une épatante bizarrerie où les lapins qui se multiplient ne sont que la première annonce d’un changement majeur.

Pour finir, je ne résiste pas au doux plaisir de partager une adorable description de lapin. « C’était un lapin noir, de la taille d’un poing fermé, qui tenait ses pattes jointes sous son museau rose et frissonnant. Ses oreilles dessinaient un arc double au-dessus de son échine et retombaient jusqu’à sa queue en forme de dé à coudre. » (p. 173)