Psychothérapie et société
EAN13
9782200350611
ISBN
978-2-200-35061-1
Éditeur
Armand Colin
Date de publication
Collection
Nathan Université
Nombre de pages
336
Dimensions
24 x 16 cm
Poids
469 g
Langue
français
Code dewey
616.891
Fiches UNIMARC
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Psychothérapie et société

Édité par

Armand Colin

Nathan Université

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« Sociétales »

Collection dirigée par François de Singly

Illustration de couverture : © Getty Images

Conception de couverture : Atelier Didier Thimonier

© Armand Colin, Paris, 2008

Internet : http://www.armand-colin.com

Armand ColinÉditeur• 21, rue du Montparnasse• 75006 Paris

9782200279370 — 1re publication

Avec le soutien du

www.centrenationaldulivre.frLISTE DES AUTEURS

Xavier Briffault, sociologue, université Paris-Descartes, CESAMES1, CNRS.

Pierre-Henri Castel, philosophe, université Paris-Descartes, CESAMES, CNRS.

Brigitte Chamak, sociologue, université Paris-Descartes, CESAMES, INSERM.

Françoise Champion, sociologue, université Paris-Descartes, CESAMES, CNRS.

Alain Ehrenberg, sociologue, université Paris-Descartes, CESAMES, CNRS.

Catherine Fussinger, historienne, université de Lausanne (CH), IUHMSP2.

Nadia Garnoussi, sociologue, université Paris-Descartes, CESAMES.

Béatrice Lamboy, psychologue, INPES3.

Philippe Le Moigne, sociologue, université Paris-Descartes, CESAMES, INSERM.

Isabelle Maillard, sociologue, université Paris-Descartes, CESAMES, CNRS.

Annick Ohayon, historienne, université Paris-8, CESAMES.

Jean-Michel Thurin, psychiatre-psychanalyste, École de psychosomatique / Fédération Française de Psychiatrie, université Pierre et Marie Curie, INSERM.

Régine Plas, historienne, université Paris-Descartes, CESAMES.1 Centre de recherche Psychotropes, Santé mentale, Société, CNRS (UMR 8136), Inserm (U 611), université Paris Descartes.2 Institut Universitaire d'Histoire de la Médecine et de la Santé.3 Institut National de Prévention et d'Éducation pour la Santé.

PREMIÈRE PARTIEDu côté des professionnels

CHAPITRE IExercice de la psychothérapie, pouvoir médical et passions françaises dans les années 1950

Annick Ohayon

Il y a des questions récurrentes, qui donnent une impression désolante de répétition. Ainsi, des problèmes qui se posaient dès les années 1920, tel celui de la possibilité pour des non-médecins d'exercer la psychothérapie, se retrouvent-ils en débat sans aucune issue satisfaisante pour les parties en présence presque un siècle plus tard. Mais se posent-ils dans les mêmes termes et avec les mêmes enjeux ? Et sinon, qu'est-ce qui a changé, et pourquoi ? Pour mieux comprendre la situation présente des professionnels du « champ Psy », un détour par l'histoire peut se révéler fécond. Ce chapitre met en perspective différents moments où la question de la nature de l'acte de psychothérapie et du statut de ceux qui l'exercent s'est posée, en accordant une attention particulière à la période décisive des années 1950.

En 1904, dans une conférence au collège des médecins de Vienne, « Über Psychotherapie », Sigmund Freud présente la psychothérapie comme l'une des formes les plus anciennes de la thérapeutique médicale. Il s'agit de quelque chose que le médecin fait toujours, même si c'est parfois à son insu, basé à la fois sur l'attente du patient et sur la capacité du thérapeute à mettre et à maintenir le patient dans cet état de « foi expectante » (Freud, 1918). À partir de ce constat universel, Freud propose simplement à ses collègues de tenter de rendre la psychothérapie plus scientifique. Il ne la distingue alors pas strictement de cette psychoanalyse qu'il est en train de construire. D'ailleurs, jusqu'à la fin de la première guerre mondiale, il utilise souvent dans ses écrits l'un ou l'autre terme indifféremment.

La démarche de Freud s'inscrit dans une culture psychologique qui s'est épanouie à la fin du XIXe siècle (Carroy, 2000), portée à la fois par des médecins (Hippolyte Bernheim, Pierre Janet) et par des hommes de lettres (Maurice Barrès, Marcel Proust). Elle met l'accent sur le pouvoir de la parole, de l'imagination et de la volonté, bref de l'esprit sur le corps. Elle s'oppose aux conceptions de la psychiatrie mécaniste contemporaine déniant toute valeur humaine, tout sens à la maladie mentale, en privilégiant le rôle des nerfs, du cerveau et de l'hérédité. Il s'agit donc d'une pratique issue de la médecine, mais qui se définit contre elle. Elle vise la guérison mais ne souhaite en aucun cas se limiter à la disparition des symptômes ; c'est une situation sans médicaments ni prescriptions, aux antipodes de la thérapeutique médicale classique. On comprend alors les incessants débats qu'elle va susciter tout au long du XXe siècle. Qu'est ce qui agit, sur quoi et comment ? Qui peut l'exercer et comment s'y forme-t-on ? Un psychiatre new-yorkais, Raincy, répond avec humour : « La psychothérapie est une technique non identifiée, appliquée à une situation non spécifique, en vue d'un résultat imprévisible. Pour cette technique, il est recommandé un entraînement rigoureux »1.

Une définition minimale commune existe cependant : celle d'une méthode de traitement des souffrances psychiques par des moyens exclusivement psychologiques : la parole, l'écoute, la suggestion, l'hypnose. Mais si la psychanalyse apparaît, jusqu'aux années 1920, comme une psychothérapie parmi d'autres, elle devient, dans les décennies suivantes, la source et le modèle de la plupart d'entre elles. Robert Lafon, par exemple, dans le Vocabulaire de psychopédagogie et de psychiatrie, de l'enfant écrit : « La psychanalyse est tellement la psychothérapie par excellence qu'il est devenu d'usage de lui faire une place à part et de ne plus la nommer psychothérapie » (Lafon, 1963, p. 503). Comment peut-on être « tellement » quelque chose qu'on ne l'est plus ? Cette pratique singulière ressortit-elle de la médecine ? Et si non, de quoi ?AU COMMENCEMENT, LA QUESTION DE L'ANALYSE PROFANE

Dans le débat qui oppose partisans et adversaires de l'exercice de la psychanalyse par les non-médecins, « l'affaire Reik » prend statut d'événement fondateur. Elle conduit Freud à écrire en 1926 La question de l'analyse profane pour défendre son disciple accusé d'exercice illégal de la médecine. Theodor Reik, psychanalyste et docteur en philosophie, était poursuivi par l'un de ses patients américains, qui estimait que son état s'était aggravé du fait de la cure. Il n'y eut pas de procès, mais Reik se vit interdire l'exercice de la psychanalyse à Vienne, et dut émigrer, d'abord à Berlin, puis à New York. Le petit livre de Freud, polémique et politique, devient alors une référence incontournable dans ce débat. Il y affirme un certain nombre de principes dont il ne démordra jamais, notamment le primat de l'expérience personnelle de la psychanalyse sur tous les autres savoirs, y compris médicaux, dans la formation. Néanmoins, la position de Freud n'est pas partagée par tous ses collègues, loin s'en faut, et ce qu'on appelle désormais la question de l'analyse profane va conduire, à la fin des années 1920, l'Association Psychanalytique Internationale au bord de la rupture. Le débat est particulièrement vif chez les thérapeutes américains. Ces derniers, avec à leur tête Abraham Arden Brill, choisissent de faire de la psychanalyse un monopole médical, en soutenant qu'elle est une thérapeutique, qui s'adresse à des personnes malades. Au début des années 1940, la plupart des psychanalystes américains ont rejoint l'American Psychiatric Association qui a exclu tous les non-médecins. Plusieurs regroupements de « profanes », tels que ceux de Reik ou de Karen Horney, se formeront alors.

Si les sociétés européennes sont restées globalement fidèles à la ligne de Freud, ce n'est pas sans ambivalences ni contradictions en leur sein. En effet, à une période où la place sociale de la psychanalyse devient considérable, nombreux sont ceux qui souhaitent en voir la traduction dans des institutions. Les temps sont révolus où, selon Ernest Jones, « n'importe qui était le bienvenu s'il était prêt à combattre à nos côtés ; tout ce qu'on exigeait de lui, c'était qu'il s'intéresse à la psychanalyse » (Internationale Zeitschrift, 1930, n° 2, p. 173). La formation médicale apparaît alors comme la meilleure garantie de sérieux dans la sélection des psychanalystes.

L'écho de ces débats, si vifs aux États-Unis et en Allemagne, ne parvient que très atténué en France, où le mouvement psychanalytique commence à peine à s'institutionnaliser. Comme dans les autres sociétés européennes, une ...
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