Les solitudes se ressemblent

Ahmed Kalouaz

Le Rouergue

  • Conseillé par
    7 mai 2014

    Parce que "les solitudes se ressemblent et les hôtels aussi ", une femme d'une cinquantaine d'années se remémore son histoire qui commence comme pour tout le monde par celle de sa famille. Fille de harkis, elle a connu le camp de Saint-Maurice dans le Gard "Lorsque je suis née, mes parents et tant d'autres vivotaient depuis trois ans dans ce camp ouvert à la hâte. (...). Des panneaux indiquent qu'il s'agit d'un terrain militaire. Camp de prisonniers pendant la Seconde guerre mondiale, des miradors en dominent les abords. C'est là que sont parqués les jouets de l'Histoire. Familles complètes, célibataires, veuves accompagnées de leurs enfants. Tous obéissent à une hiérarchie, une organisation stricte, conduite par un chef de camp, ancien militaire reconverti dans l'humiliation de ceux qu'il considère comme une piétaille de barbares".

    Une enfance sans pouvoir aller courir là où elle le voulait, l'école où on l'appelait par un prénom français, le chef de camp qui détournait les prestations sociales, le silence de son père et de sa mère qui avaient fui la terre natale. Puis, le collège où les insultes qui pleuvaient ont nourri une révolte sourde. Au bout de dix années passées dans le camp, ses parents ont obtenu un logement car la rébellion de la jeune génération dans les années 70 avait permise la fermeture de ces camps.
    Mais quelquefois qu'importe l'endroit où l'on vit car les étiquettes restent collées sur votre front et votre dos. Et s'ajoute pour son père la difficulté de trouver un emploi lui qui appartenait à ceux que l'on nommait les incasables. Elle se questionne, s'interroge sur qui était son père. Etait-il un traître ?

    Elle connaît l'anonymat des chambres d'hôtels pour y faire le ménage mais aussi comme lieu de rencontres avec son amant. Seule aujourd'hui, elle poursuit son introspection. A l'adolescence, sa révolte s'est transformée en fugues et en insoumission.

    Dans une écriture ciselée, Ahmed Kalouaz nous livre le portait de cette femme et revient sur une période trouble. Fille d'Arabes, fille de harkis : une double identité difficile à porter, un chemin aux nombreuse ornières pour trouver sa place parmi les relents racistes et ceux qui avaient la nostalgie de la guerre d'Algérie. Une femme qui fait la paix avec elle-même, le poids familial et celui de l'Histoire.
    "Je me suis souvent brûlée les yeux en fixant le vide, car l'histoire de mon père n'était écrite nulle part. Les héros, il faut se les fabriquer, les inventer avec leur grandeur et leurs victoires. Autrement, ils ne sont que des êtres promis à l'oubli."

    Un texte très fort sur les difficultés des harkis et de leurs enfants. Et une fois de plus, ce livre d'Ahmed Kalouaz a fait mouche !